Si le « bonheur mennonite » a bien existé en Russie impériale, il prend fin en 1917. Dans ce troisième épisode : des mennonites en plein chaos, des anarchistes sanguinaires, des Russes blancs et l’armée rouge transforment les colonies en « terres de sang ».

1. Terreur et chaos

La première phase de leur destruction suit la Révolution russe et la Guerre civile. Entre 1917 et 1922, les mennonites d’Ukraine vivent une période d’instabilité et de terreur. Leur position géographique les situe au milieu des combats, dont les avancées et contre-offensives transforment ces plaines en « terres de sang », pour reprendre l’expression de Timothy Snyder. Ils changent près de sept fois d’autorité ou d’occupants : Armée rouge, Allemands, Russes blancs[1], attaques de pillards anarchistes ou de Tatars en Crimée. A chaque fois : réquisitions, destructions de bâtiments, de récoltes, impôts nouveaux, hébergement des troupes, pillages, meurtres et viols.

 

2. Makhno l’anarchiste

Ils subissent surtout la terreur de Nestor Makhno, chef d’une troupe d’anarchistes qui veut éradiquer les colons. Il rançonne et massacre plusieurs centaines de mennonites. Entre octobre et décembre 1919, 6000 de ses hommes sillonnent les villages, sous un drapeau noir, commettant toutes sortes d’exactions, détruisant les fermes, parfois avec l’aide de la population russe locale[2]. Plusieurs événements vont marquer les mémoires. Le 26 octobre 1919, une « mission sous la tente » est attaquée ; cinq missionnaires et le prédicateur, Johann Schellenberg, sont découpés au sabre. L’attaque de Sagradovka[3] fait 199 morts et anéantit six villages. A.H. Wiebe a survécu au meurtre des instituteurs de l’école d’Orhloff :

Dans la salle des professeurs se tenaient les deux instituteurs du village, Abram P. Wiebe et Abram Toews. Quand Neufeld entra, il fut suivi par plusieurs de ces démons. Les instituteurs durent s’aligner contre le mur. Il y eut un bruit de tir et Toews, touché à la tête, s’effondra et mourut.  H. Neufeld eut assez de temps et de courage pour leur demander : ‘Mais pourquoi ? » Et il s’effondra, une balle en plein coeur. Wiebe vit l’arme pointée sur lui et s’écroula au moment même où le coup était tiré. Cette fois la balle manqua son but et quand Wiebe, plus tard, repris conscience, tout était calme autour de lui. Il se leva et s’enquit de ce qui s’était passé. Les bandits l’avaient simplement laissé pour mort.[4]

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